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Vivre avec des voix et être père : favoriser un équilibre au cœur de notre « équipe familiale »

  • 15 min

Découvre le témoignage d'un père entendeur de voix qui partage son parcours pour équilibrer famille et santé mentale, en bâtissant une « équipe familiale » forte.

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Mise en contexte de mes difficultés de santé mentale

Ma première dépression s’est produite à la suite d’une série d’échecs et de renoncements auxquels je n’étais pas équipé pour faire face :

  • Abandon de mes études doctorales en psychologie (après un an et demi d’implication);
  • Arrêt de mes activités d’assistant-enseignant de deux cours universitaires;
  • Deux déménagements en moins de deux ans;
  • Fermeture de mon cabinet de psychothérapeute;
  • Retour régressif au travail à titre de vendeur de chaussures;
  • Apprenti-vendeur inefficace de machines-outils, durant environ un an;
  • Pompiste durant plus d’un trimestre avant une psychose démesurée.

À l’âge de 32 ans, je me suis retrouvé aux prises avec un problème manifeste de santé mentale. Il s’écoulera d’ailleurs plusieurs mois entre le début de ma dépression et une importante psychose! Cette dépression majeure a fragilisé ma relation de couple après 14 ans de vie commune et harmonieuse avec la femme que j’avais épousé dix ans auparavant et avec qui j’ai eu une magnifique fille.

Pendant mon hospitalisation, il m’est arrivé un grand malheur, ma femme est décédée à la suite d’un accident de voiture. Au moment de cette tragédie, nous habitions un petit village avec notre fille âgée de cinq ans. Celle-ci a donc été confrontée au décès de sa mère, alors que son père était hospitalisé pour une raison qu’elle n’était pas davantage en mesure de comprendre.

L’accueil de ma condition relative à ma santé mentale

À la suite de cette dure tragédie, après mon hospitalisation, j’ai su tisser un lien soutenu avec ma fille, étant déterminé à bien prendre soin d’elle. Devenir un parent unique pour ma fille m’a semblé consolider ma fonction protectrice et de soutien auprès de mon enfant.

Aussi, j’ai rencontré une femme avec laquelle nous avons développé un lien amoureux. Compte tenu que nous avions chacun des difficultés de santé mentale, notre relation était fragile, puis elle fut brève. Mais nous avons tout de même conçu deux enfants magnifiques.

Mes trois enfants sont maintenant majeurs. Ma fille ainée a 30 ans. C’est une globetrotteuse passionnée. Depuis l’âge de 18 ans, elle visite différents pays à travers le monde. Elle a même habité un an au Sénégal dans le cadre de son emploi. Elle travaille dans une organisation gouvernementale offrant de l’aide humanitaire dans plusieurs pays du monde. Elle recrute des personnes pour intervenir dans différentes situations comme une famine, une épidémie ou une catastrophe naturelle. Parfois elle se rend sur les lieux pour superviser le travail des personnes qu’elle recrute ou elle fait des immersions pour apprendre d’autres langues.

Un jour, elle m’a accompagné à une de mes conférences-témoignage pour des étudiants dans un cégep. À la fin, lors d’une vingtaine de minutes d’interactions avec le groupe, quelqu’un lui a demandé quel était l’impact d’avoir grandi avec moi. Elle a répondu que cela lui a permis une ouverture sur les différences. Elle a ensuite parler de sa formation universitaire et ses voyages en vue d’œuvrer auprès de différentes ethnies à travers le monde. Saisi d’un grand frisson qui parcourait mon corps, je l’ai laissé interagir avec les étudiants qui s’informaient de son expérience de personne proche d’un entendeur de voix; j’étais alors profondément ému!

Mon deuxième enfant, un informaticien branché, est un garçon âgé de 22 ans. Jusqu’à présent, il a travaillé durant plus de deux ans au cœur d’une organisation gouvernementale veillant aux intérêts d’agriculteurs québécois. Mon fils excelle aussi dans le sport de planche à roulettes constituant une nouvelle discipline olympique. Il s’est parfois qualifié parmi les gagnants lors de compétitions locales. Puis, il enseigne parfois des techniques de base de ce sport à des petits groupes d’enfants.

Mon troisième enfant, ma fille cadette, a 21 ans. Au printemps prochain, elle termine une formation universitaire en psychoéducation. Elle travaille déjà au CIUSSS de sa ville, en lien avec le centre jeunesse de sa région. Puis, elle est stagiaire dans un organisme communautaire près de chez-elle.

L’objectif du présent écrit est de te parler de mes préoccupations en tant que père et de te présenter comment mes enfants sont parvenus à m’apporter du soutien relativement à ma santé mentale changeante. Mais avant, je vais faire une mise en contexte des difficultés que j’ai rencontrées sur le plan de ma santé mentale qui se sont accompagnées du décès de la mère de ma fille ainée.

L’origine de mon désir de sécuriser mes enfants en bas âge

Lorsque j’étais enfant, puis tantôt adolescent, j’ai été fragilisé par les dépressions majeures et fréquentes de ma mère qui était aux prises avec un trouble bipolaire. En langage psychiatrique, disons qu’elle faisait des psychoses mystiques impliquant la présence de Dieu et du diable. Je porte encore actuellement des dommages traumatiques des dépressions de ma mère, car je suis moi-même confronté à ce clivage opposant le bien et le mal! Mais il faut dire par ailleurs que j’ai vécu plusieurs autres événements traumatisants comme des déménagements, puis de l’intimidation à l’école qui ont contribué à mes difficultés.

Déjà, à la suite de ma première hospitalisation, j’étais inquiet concernant les impacts négatifs que mon vécu psychotique pourrait avoir sur ma fille. Mes préoccupations concernaient l’avenir de sa santé mentale que je voulais mettre à l’abri de mes éclaboussures. J’ai longuement oscillé entre une mauvaise santé mentale et des moments plus sains. À cette époque, je craignais de générer un télescopage intergénérationnel c’est-à-dire de voir le développement de ma fille compromis voire celui de ses enfants. Donc en tentant de préserver ma fille de vivre pareilles situations, j’étais dans l’espoir que sa santé mentale ne soit pas compromise.

À la suite d’autres hospitalisations et de la naissance de mes deux autres enfants, je désirais adopter un rôle de phare auprès de mes enfants. Il m’était d’abord nécessaire d’apprendre à déterminer mes forces et mes limitations relatives à ma situation. Je devais donc m’engager dans un cheminement en vue de me rétablir.

Mettre mes enfants à l’abri de mes débordements

Pour ne pas insécuriser mes enfants en bas âge je tâchais surtout de ne pas parler à voix haute des voix que j’entendais devant eux et j’ai également appris à reconnaitre des indices lorsqu’il devenait temps de me retirer. Puis, j’ai commencé à fréquenter des lieux me permettant de ventiler lorsque c’était parfois nécessaire. Par exemple, j’allais dans un champ, une forêt ou même des cimetières pour me ressourcer.

Je m’accordais du temps pour m’adresser directement aux voix que j’entendais, car j’ai davantage d’impact auprès d’elles lorsque je me sers de ma propre voix plutôt qu’avec mes pensées. D’autres fois, lorsque mes interactions avec les voix devenaient toxiques, je préparais un bagage pour me rendre à l’hôpital. À ce moment, une personne significative comme ma conjointe ou ma mère s’occupait de mes enfants.

Mais avant de me rendre à l’hôpital, j’informais mes enfants que je n’allais pas bien dans mon cœur et dans ma tête. Je leur expliquais que ma santé mentale s’était trop détériorée et que j’avais besoin de me faire soigner à l’hôpital. Je leur expliquais surtout que ce n’était pas leur faute! Ils étaient préoccupés, mais ils avaient l’heure juste. Je ne voulais pas laisser mes enfants se construire des idées préoccupantes. Aussi, mon authenticité les rassurait.

Des résistances face à l’aide offerte par mes proches

Lorsque j’ai connu mes premières difficultés avec ma santé mentale, j’avais peu de flexibilité quand un des miens désirait me venir en aide. Je me campais dans des attitudes et des comportements d’irritabilité et de colère. J’exprimais même ouvertement n’avoir besoin d’aide de personne.

Durant au moins les trois premières années à la suite de ma première hospitalisation, je n’appréciais donc pas qu’un de mes proches adopte un rôle d’aidant à mon égard. Je trouvais cela intrusif et irrespectueux, comme si on faisait de l’ingérence dans ma vie privée. J’étais très rébarbatif à l’aide que mes proches tentaient de m’offrir. À cette époque, j’avais l’impression que l’aide venant de mes proches camouflait des désirs de me gérer ou de me manipuler.

J’imaginais que mes proches avaient des intentions malveillantes comme certaines voix négatives que j’entendais. Maintenant, même si une personne significative à mes yeux est maladroite en m’offrant son aide, je comprends qu’elle n’est pas malveillante pour autant. Comme mes proches manquent parfois d’informations au sujet du phénomène de l’entente de voix, je considère qu’il est de ma responsabilité de les éclairer davantage, ce qui est devenu coutume avec mes enfants.

Je me suis toujours exercé de mieux informer mes enfants et mes proches en évitant de les troubler. J’ai appris que je devais me dévoiler selon le rythme personnel de chacun d’entre eux. Il en est de même pour mes intervenants qui devaient parfois remettre en question leurs apprentissages antérieurs, surtout ceux qui vont à contre-sens de ma réalité d’entendeur de voix. Selon mon expérience, les proches et les intervenants nécessitent d’être éduqués en fonction de plusieurs caractéristiques individuelles propres à chacun.

Aider mes enfants à me venir en aide

Au fur et à mesure que mes enfants ont grandi, je m’apercevais qu’ils pouvaient me procurer un apport dont je pouvais bénéficier, car ils étaient à même d’observer plusieurs aspects relatifs de mes fluctuations pour mieux m’en informer. Je devais alors les mettre au parfum de mes difficultés. Selon moi, l’expert pour rendre compte de sa situation, c’est la personne aux prises avec sa difficulté de santé mentale. Il s’agira alors pour les proches de faire équipe avec cet expert, en le consultant.

Aussi, chacun de mes enfants possède un rythme différent que j’ai dû apprendre à respecter. Par exemple, le vécu de ma fille ainée implique des traumatismes différents de ceux de mes deux plus jeunes enfants. Toutefois, mes deux plus jeunes ont également connu des défis importants, car leur mère est également aux prises avec un problème de santé mentale depuis la toute fin de son adolescence, ce qui a un impact sur eux, d’une façon différente.

Considérant que mes enfants étaient en mesure de reconnaitre des fluctuations dans mes attitudes et mes comportements, je suis devenu à même de comprendre que chacun d’eux, comme toute autre personne significative de mon entourage, pouvait agir tel un parechoc pour prévenir des difficultés sur le plan de ma santé mentale.

Chacun de mes enfants présente sa propre capacité à comprendre des indicateurs liés à ma condition. Aussi, chacun possède certaines forces et certaines fragilités personnelles. J’ai donc dû considérer ces aspects au cours du partage graduel de mes difficultés auprès de chacun de mes enfants, individuellement.

Savoir reconnaître et faire confiance aux capacités de mes proches

Ce qui m’a davantage permis d’informer graduellement mes enfants face à ma différence, c’est de les laisser s’exprimer à partir de leurs propres perceptions. Sachant que chacun d’eux possède ses propres couleurs, la suite a été beaucoup plus facile. Aussi, je devais chasser mes aprioris de mon esprit en accueillant leurs perceptions, plutôt que de teinter le tout de mes angoisses, mes craintes, ainsi que de mes appréhensions.

Puis, à mon grand étonnement, chacun a su normaliser ma condition, ce que je ne m’attendais pas du tout. Je veux dire que chacun de mes enfants m’apprenait qu’il percevait ma maladie comme quelque chose de normal, car c’est ce qu’ils connaissaient de façon naturelle. Ayant constamment vécu avec moi, ils figuraient que ma façon d’agir et de penser était normale, car ils n’avaient pas d’autres références que la mienne pour comparer…

Pouvoir m’accompagner dans mon rétablissement et m’aider à traverser des moments plus difficiles semblent gratifiant pour mes enfants. La relation qui s’est développée entre mes enfants et moi semblent leur avoir permis de murir davantage. Aussi, l’authenticité de nos liens est tellement devenue manifeste que nous n’éprouvons pas vraiment de malaise à aborder des sujets plus délicats concernant ma différence. Les enfants se sentent dans le coup au lieu de n’avoir aucun pouvoir sur ce qui m’arrive. Aussi, ils ne semblent pas subir les événements troublants de mes déséquilibres, car ils peuvent intervenir comme bon leur semble, sans devoir mettre des gants blancs pour aborder le sujet. Cela me permet de mieux voir venir les événements, donc également mes débordements, ce qui m’évite parfois de sombrer dans des désorganisations importantes.

Contourner les pièges de la surprotection ou de la victimisation

Au début, pour éviter de surprotéger mes enfants ou de me victimiser auprès d’eux, j’avais déjà un bout de chemin de fait grâce aux apprentissages de mes études en psychologie. De fait, lors de mes études supérieures, avant ma première désorganisation survenue en 1999, j’étais un outremangeur de livres. Depuis 1986, j’ai consommé d’innombrables bouquins. Ces lectures m’ont permis de devenir une meilleure personne, puis certainement un meilleur père.

Toujours avant ma première dépression, j’ai fait des démarches en psychothérapie, dont une de trois années avec une psychologue. Aussi, j’ai assisté à des conférences dont quelques-unes de la psychologue Danie Beaulieu1, puis celle du travailleur social Fletcher Peacock2. Ces enrichissements ont eu un apport considérable pour moi.

Par la suite, en sortant de ma première hospitalisation, j’ai entrepris une démarche de rétablissement consistant en un suivi de trois ans avec un travailleur social. Je me suis également impliqué dans une psychothérapie psychodynamique avec une psychiatre-psychanalyste, pour cumuler 15 ans de rencontres hebdomadaires. Puis au cours de la dernière décennie, je me suis engagé dans un groupe d’entendeurs de voix et dans un suivi individuel axé sur le rétablissement. Ça été vraiment bénéfique pour ma démarche de rétablissement qui demeure, pour ma part, l’histoire d’une vie.

C’est donc en majeure partie grâce à ce cheminement que je gardais le cap sur mon rôle parental, en même temps que je laissais mes enfants être des enfants… Mon objectif était qu’ils n’aient pas à porter ma souffrance ni de s’en préoccuper; je ne voulais surtout pas qu’ils jouent un rôle de parent pour moi. Puis, je ne désirais pas qu’ils mettent leurs intérêts et leurs rêves de côté pour s’occuper de moi. Pour paraphraser le psychanalyste Donald Winnicott, je ne suis pas devenu un père parfait, mais un père suffisamment bon pour favoriser un équilibre au cœur de notre chaleureuse « équipe familiale ».

Des angles de perception spécifiques à chacun de mes enfants

Toute personne étant unique, mes enfants n’échappent pas à cette règle. En fait, chacun de mes enfants possède ses propres angles pour percevoir et mieux concevoir ma réalité. Puis comme lorsque nous conduisons une voiture, chacun d’entre eux présentent des angles-morts où ils doivent fournir un effort pour mieux apercevoir certains aspects de ma réalité!

Je crois que ce qui a été le plus aidant pour ma fille ainée, est que je fasse appel à un organisme communautaire de ma région qui intervenait auprès de proches ainsi que d’enfants de personnes aux prises avec un trouble de santé mentale. Pendant plusieurs années, elle a ainsi côtoyé une intervenante pour l’aider à cheminer à travers mes difficultés. J’appréciais particulièrement cette présence auprès de ma fille, car elle pouvait s’exprimer librement avec son intervenante qui venait la visiter à la maison, alors que je m’effaçais le temps de ces rencontres.

Puis, il y avait les contacts bénéfiques de ma fille avec d’autres enfants qui vivaient des situations semblables. De plus, elle connaissait également les bienfaits des activités de groupe de cet organisme pour les proches, y compris des camps de vacances durant les étés.

Avec ma fille cadette, j’ai toujours eu la nette impression qu’elle comprenait de façon extraordinaire les états dans lesquels je me retrouvais en sa présence. Aussi, son choix de carrière témoigne du « parechoc préventif » qu’elle est depuis son enfance; elle termine d’ailleurs sa formation de psychoéducatrice l’an prochain, comme je l’ai précédemment mentionné. D’ailleurs, selon son amie très proche qui a étudié durant une année avec elle, ma fille cadette est carrément à sa place en étudiant dans ce programme universitaire, ce qui ne m’étonne pas du tout.

Ma fille cadette a toujours pressenti mes difficultés de santé, alors elle est venue souvent à mon aide. Une fois, je lui ai dit qu’elle pourrait m’aider en disant à une voix de s’en aller et de me laisser tranquille, parce que je devais me reposer avant d’aller donner une conférence. Je lui ai dit qu’elle pouvait aussi mettre de l’humour en s’adressant à la voix envahissante. Puis elle m’a répondu :

  • « D’accord, alors je vais l’appeler sac à merde! »

Puis, ensemble, nous avons ri un bon coup lorsqu’elle s’est empressée de dire à la voix :

  • « Aye la voix qui parle à mon père, à travers la pluie qui bat contre la fenêtre, sacre ton camp et laisse le se reposer parce qu’il donne une conférence ce soir! Alors dégage de là, sac à merde! »

La voix a automatiquement cessé de s’adresser à moi et j’ai pu enfin me reposer!

Lorsqu’elle va relativement bien, la personne rencontrant des difficultés de santé mentale est la mieux placée pour déterminer l’aide dont elle a besoin. Les proches devraient former une équipe avec celle-ci. Trouver un équilibre dans la relation entre eux semble plus facile en demeurant respectueux des forces et des limites de chacun.

Cela implique d’aller chercher du soutien en dehors de cette relation d’aide, surtout lors de complications.

La personne en besoin peut solliciter une ligne d’écoute téléphonique, un organisme d’aide en santé mentale, un centre de crise ou même envisager un séjour à l’hôpital. Pour sa part, l’entourage peut parfois s’essouffler à apporter de l’aide. À ce moment, les membres de l’entourage doivent également aller chercher du soutien. À mon avis, chaque membre de la famille devrait être accompagné de façon soutenue par des intervenants de l’organisme communautaire pour les proches de sa région. Cette suggestion s’applique aux proches en général, mais plus particulièrement aux jeunes comme toi.

Sources et notes

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