Les stratégies efficaces pour composer avec les voix
Les stratégies efficaces pour composer avec les voix
Vous accompagnez un être cher qui entend des voix? Découvrez des stratégies efficaces pour composer avec cette expérience et aider à améliorer vos qualités de vie.
Nous avons traité dans le texte « Comprendre les voix » de voix malveillantes (injurieuses, critiques) et bienveillantes (conseillères, rassurantes). Il existe plusieurs recherches dont les résultats montrent que les personnes ont tendance à résister aux voix malveillantes et à s’engager avec des voix bienveillantes. Fait à noter, résister aux voix est lié à plus de sentiments dépressifs et anxieux. Les voix malveillantes provoquent davantage une réponse négative (« Tu ne dis que des mensonges ») ou hostile (« Fiche-moi la paix »)1 ou encore on les évite2.
- L’évitement joue un rôle central dans le maintien ou l’augmentation des voix. Plus on les évite – en leur disant « stop » par exemple – plus les voix risquent de s’aggraver.
- Une stratégie comme leur dire stop peut être efficace à court terme, et c’est tout à fait compréhensible que la personne l’adopte, car cela permet de faire diminuer l’anxiété liée aux voix, mais à long terme cette stratégie n’est pas efficace.
- De la même manière, l’hostilité envers la voix peut donner l’impression d’en avoir un certain contrôle, mais tout comme les relations interpersonnelles que l’on développe avec son entourage, de l’hostilité engendre de l’hostilité!
Voici quelques stratégies qui se sont révélées efficaces décrites par des personnes qui entendent des voix mais qui composent bien avec celles-ci3 :
- Le fait de sélectionner seulement les voix positives, de les écouter et de tenter de les comprendre. Sans toutefois oublier que les voix négatives ont aussi un sens que l’on peut décoder.
- Placer des limites aux voix. Par exemple en « donnant rendez-vous aux voix » à une heure précise de la journée seulement.
- Accepter les voix, ce qui permet un processus de croissance vers la prise de responsabilité de ses propres décisions.
Il importe de comprendre que les voix jouent un rôle aussi important dans la vie des personnes qui les entendent que si elles étaient des personnes réelles ou des relations réelles. Cela peut vous sembler surprenant, mais elles ont une utilité, comme nous le rappelle cette citation de Vincent Demassiet, président du réseau des entendeurs de voix (REV) de la France4.
[…] à force de lutter ou rentrer en conflit avec [mes voix] dans des discussions sans fin qui finissaient par me rendre de plus en plus mal et m’exclure de toute vie sociale, j’en avais oublié de me demander si elles avaient la moindre utilité. (2016, p. 100)5
Donc accepter les voix – et cela ne veut pas dire s’y résigner, mais de les accueillir comme faisant partie de sa vie –, permet éventuellement d’adopter des stratégies qui vont permettre de s’engager avec elles, c’est-à-dire de ne plus les éviter. Cette philosophie fait partie de la thérapie d’acceptation et d’engagement issue de la troisième vague des thérapies cognitives comportementales où on considère que les expériences ayant un contenu pénible – dont le contenu négatif des voix – font partie de l’expérience humaine qu’il est inutile de combattre6.
Des thérapeutes québécois7, spécialistes de ce type d’intervention, mentionnent qu’une des stratégies essentielles est de faire l’expérience d’un « désespoir créatif » en explorant les stratégies d’évitement utilisées qui se sont révélées inefficaces. Le but ultime, après s’être exposé graduellement à ses expériences internes, est de s’engager dans des actions concrètes orientées vers ses valeurs, c’est-à-dire des actions déterminées par le sens que l’on veut donner à sa vie plutôt que lutter contre les voix qui nous font souffrir. Donc s’engager dans des activités significatives, un projet de vie.
Voici un exemple d’une intervention liée à l’acceptation et à l’engagement : Jean est hostile à l’endroit des voix qu’il entend, et ce, depuis longtemps. Cette hostilité, loin de calmer ses voix, fait en sorte qu’elles deviennent de plus en plus intenses. Il vit isolé chez lui, craint constamment que ses voix réapparaissent. Il passe le plus clair de son temps à lutter contre ses voix, donc énormément d’énergie de dépensée pour les contrer. Il souhaite reprendre des études, mais ses voix l’en empêchent.
Imaginons que Jean a accès à un professionnel de la santé habilité à intervenir auprès des personnes qui entendent des voix et qui l’aidera à remettre en question cette stratégie qui le fait de plus en plus souffrir. Dans un premier temps le professionnel initiera Jean à l’acceptation de ses voix en faisant l’expérience d’un « désespoir créatif » qui consiste à explorer les coûts et bénéfices de la stratégie qu’il emploie pour solutionner son inconfort. Ce type d’intervention vise « à libérer [Jean] du sentiment d’être inadéquat parce qu’il n’a pas réussi à le résoudre, en l’amenant à réaliser que ce sont ces mêmes tentatives de contrôle qui constituent le problème, plutôt que la solution » (Neveu et Dionne, 2010, p. 69). Par la suite Jean sera invité à accueillir ses expériences internes dérangeantes (les voix) sans jugement en leur faisant une place dans le moment présent. L’acceptation ici ne signifie aucunement « résignation », mais plutôt un choix de faire une place à ses voix. Les efforts qu’il consentira ne viseront pas à changer, éviter, contrôler, fuir, combattre ou supprimer ses voix, mais à focaliser son attention sur des ressources de l’environnement qui pourront l’aider à poser les actions nécessaires pour atteindre des objectifs selon ses valeurs8.
Pour y arriver Jean pourrait par exemple se fixer l’objectif à court ou à moyen terme de retourner aux études, avec l’aide de son entourage, en mettant l’accent sur ses talents et ses compétences et sur les ressources d’aide dans les collèges et les universités. Pour y arriver il réalisera une série de petites étapes lui permettant de vivre des succès vers son objectif de vie.
D’autres stratégies qui se sont révélées efficaces consistent à remettre en question la véracité des voix, ce qui peut contribuer à diminuer le pouvoir qu’elles exercent sur la personne. À ce titre il existe des exercices développés par Hayward, Strauss et Kingdon (2018) qui permettent de le faire. Nous en donnons un exemple.
- La personne croit que sa voix est très puissante : on cherche à trouver des preuves ou des expériences qui ne correspondent pas à la croyance envers les voix.
- On demande à la personne d’écrire sur un tableau toute preuve ou expérience qui signifie que cette croyance n’est pas tout à fait vraie.
- « Je suis sorti hier soir, et il ne m’est rien arrivé de mal ».
- « Mes voix me disaient qu’on me pousserait dans l’escalier si je n’obéissais pas, mais cela ne s’est jamais produit »9.
Je ne suis pas thérapeute, que puis-je faire pour aider?
La première chose à faire est de prendre au sérieux que votre être cher entend réellement des voix. Il s’agit certes d’une expérience singulière, mais bien réelle pour la personne. Si vous donnez l’impression d’être incrédule vis-à-vis de l’expérience de votre être cher, il aura tendance à ne pas se confier à vous10.
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Demeurez vous-mêmes
L’authenticité invite à l’authenticité; ce qui correspond justement à ce que les proches cherchent à générer dans leur interaction avec un des leurs qui vit des difficultés sur le plan de sa santé mentale.
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Envisager d’aider votre être cher à comprendre le sens de ses voix
Si vous pouvez distinguer les voix malveillantes des voix bienveillantes, vous pourrez éventuellement l’aider à comprendre que les voix négatives reflètent des émotions négatives qu’il ressent et qu’il incombe d’accepter pour pouvoir en parler et s’en libérer11.
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Renforcez ses bons coups
Une personne qui entend des voix a besoin de nourriture pour son estime fragilisée. Reconnaitre ses bons coups, c’est lui donner l’espoir de reprendre du pouvoir sur ses voix et sur sa vie.
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Ne pas craindre de parler des voix, mais sans collusion ni confrontation
Si vous voulez favoriser les confidences de la part de votre être cher, il ne faut pas le confronter dans ses croyances, même si celles-ci vous paraissent insensées. Par exemple lui dire « tu sais bien que la mafia ne surveille pas ton appartement » ne fera que renforcer cette croyance et faire en sorte qu’il ne se confie plus à vous. Vous pourriez par exemple poser la question suivante : « dis-m’en plus à ce sujet, on va essayer de comprendre ensemble ce qui se passe ». Un exemple de collusion serait de dire « peut-être as-tu raison. Comment pouvons-nous le découvrir »? Ici on renforce l’idée que c’est peut-être possible que la mafia surveille son logement, alors que dans votre for intérieur vous vous dites probablement que c’est impossible. La personne risque de le sentir12. À travers des échanges ouverts et constructifs sur les voix, vous pourrez probablement trouver l’origine de ses voix et y rattacher un sens.
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Évaluez les sentiments de votre être cher lors d’une interaction
Étant donné que les voix peuvent survenir à tout moment ou augmenter en fréquence et en intensité, assurez-vous de sa disponibilité lors d’une interaction avec vous. Par exemple, on remettra à plus tard l’idée d’aborder un aspect nécessitant une grande attention et un bon jugement si votre être cher se désorganise lorsqu’il est à gérer un débordement de sens lié à une psychose.
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Les buts, les aspirations, les rêves et les passions de votre être cher sont des moteurs pour son rétablissement.
Ses attentes diffèrent assurément des vôtres. Ces buts, aspirations, etc. se réaliseront probablement en petites étapes tel des marches d’escalier à gravir. Vous aurez possiblement à procéder à des renoncements par rapport à vos propres attentes, mais restez ciblé sur les besoins et les attentes de votre être cher. En focalisant sur ses forces, et non sur les lacunes que vous croyez percevoir, il sera encouragé à poursuivre dans la voie du rétablissement. Lorsqu’une personne est engagée dans une activité significative pour elle, on a constaté que l’intensité et la fréquence de ses voix diminuent.
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Démontrez à votre être cher qu’il a des gains à vous donner accès à son monde
Votre être cher a besoin de sentir que vous êtes là pour l’aider dans ses difficultés, il a besoin de personnes qui savent l’accueillir et l’accompagner dans son cheminement.
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Encouragez votre être cher à rencontrer des personnes vivant la même situation
En l’invitant à participer à un groupe d’entraide pour les entendeurs de voix ou encore à lire sur ce phénomène. Cela l’aidera à réduire la stigmatisation qu’il peut ressentir ainsi que son sentiment d’isolement13.
Il est fort probable que votre être cher ait vécu un événement traumatique dans son enfance ou son adolescence. Plusieurs auteurs mentionnent que de 70 à 80 % des personnes qui entendent des voix dérangeantes ont vécu un tel événement. C’est un sujet complexe, en particulier pour les proches. Mais il faut dire que la plupart des personnes qui entendent des voix ont grandi dans une famille aimante et soutenante14.
Il est possible cependant que la personne ne souhaite pas discuter des détails reliés à cet événement – ce peut être une agression sexuelle ou de l’intimidation sur lequel il est parfois très difficile de s’ouvrir – et que vous vous sentiez dépassés même si vous lui avez offert beaucoup de soutien.
Il est possible également que votre être cher ait vécu des moments difficiles à l’intérieur même de sa famille. Ou encore, lorsque dans une détresse profonde, dans un moment de confusion, il lance des accusations contre des membres de sa famille qui ne sont pas appuyés sur des faits réels.
À ce moment, il est possible que vous ayez besoin d’aide pour vous-même. Alors, n’hésitez pas à en parler à votre entourage personnel, familial ou professionnel. Par exemple vous pouvez consulter l’association de proches ou encore l’organisme qui héberge un groupe de soutien aux entendeurs de voix de votre région qui saura probablement vous guider.
Mais il ne sert à rien de se culpabiliser, car la culpabilité conduit à de la passivité, et non à l’action, nécessaire ingrédient pour se rétablir en tant que famille et en tant qu’individu.
En résumé
- Il ne sert à rien de tenter d’éliminer les voix, ceci contribue à la boucle d’évitement qui ne fera qu’accentuer la fréquence et la gravité des voix.
- Il est important d’échanger avec votre être cher qui entend des voix sur sa réalité, il ne faut pas avoir peur de le faire, car la peur ne fait qu’amplifier la détresse des uns et des autres.
- Parler des voix peut être un exercice libérateur pour votre être cher, mais également pour vous. Plusieurs recherches ont montré que parler des voix ne provoque pas de rechute psychotique.
- Des études comparant des personnes qui entendent des voix avec ou sans histoire psychiatrique ont permis de comprendre les stratégies que ces dernières utilisent qui sont plus efficaces pour composer avec ces voix.
- Il existe plusieurs manières d’aider votre être cher qui entend des voix à accepter son expérience comme étant réelle et ainsi contribuer à son rétablissement.
Afin de mieux comprendre le phénomène des voix, prenez quelques minutes pour consulter le texte « Comprendre les voix ». Si vous manquez de temps, n'hésitez pas à l'ajouter à votre coffre à outils pour y revenir plus tard.
Sources et notes
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1 Lawrence, C., Jones, J. et Cooper, M. (2010). Hearing voices in a non-psychiatric population. Behavioral and Cognitive Psychotherapy, 38(3), 363-373.
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2 Trower, P., Birchwood, M. et Meaden, A. (2010). Appraisals: Voices’ power and purpose. Dans F. Larøi et A. Aleman (dir.), Hallucinations. A guide to treatment and management (p. 81-101). Oxford University Press.
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3 Romme, M. et Escher, S. (1989). Hearing voices. Schizophrenia Bulletin, 15(2), 209-216.
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4 St-Onge (2017), op. cit.
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5 Molinié, M. et Demassiet, V. (2016). Des groupes d’entendeurs de voix : pour qui? pourquoi? pour quoi faire? Dans R. Jardri, F. Favrod et F. Larøi (dir.), Psychothérapies des hallucinations (p. 93-106). Elsevier Masson.
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6 Strauss, C. (2015). What have we learnt about mindfulness-based interventions and acceptance and commitment therapy for distressing voices? Dans M. Hayward, C. Strauss et S. McCarthy-Jones (dir.). Psychological approaches to understanding and treating auditory hallucinations. From theory to therapy (p. 151-169). Routledge.
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7 Neveu, C. et Dionne, F. (2010). La thérapie d’acceptation et d’engagement. Revue québécoise de psychologie, 31(3), 63-83.
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8 Ibid.
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9 Cet exemple est tiré de l’expérience d’une dame qui a réussi à remettre en question des voix devenues de plus en plus menaçantes et à ne plus croire en leur véracité. Cela avait débuté par la voix pressante de son père décédé l’ordonnant de courir à l’hôpital car sa mère serait en danger, ce qui s’est avéré. Par la suite, ses voix au début positives, mais très puissantes, sont devenues de plus en plus négatives. Ses voix lui dictaient de réciter des dizaines de chapelets par jour; si elle ne le faisait pas, les voix la menaçaient de la jeter en bas de l’escalier.
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10 Ces conseils, sauf indication contraire, proviennent de propos tenus dans le cadre de webinaires organisés par CAP santé mentale et coanimés par Myreille St-Onge, Ph.D. et Serge Tracy, M.Ps., conférencier, auteur et entendeur de voix, qui ont eu lieu les 8 février et 16 mai 2024.
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11 Romme et Escher (1989), op. cit.
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12 Kingdon, D.G. et Turkington, D. (2005). Cognitive therapy of schizophrenia. Guilford Guides to Individualized Evidence-Based Treatment Series.
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13 Ibid. Il est à noter que le premier groupe d’entraide pour les entendeurs de voix a été créé en Hollande en 1988.
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14 Hayward, Strauss et Kingdon (2018), op. cit.
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